Sans normes on pourrait tous s'être complètement étrangers. Le cerveau a trop de potentiel, couve des identités et des modalités d'expression infinies. L'enjeu derrière les normes est la communication, l'amour ou tout remède ou anesthésiant à la solitude. / Ma vie manque d'explosions en ce moment. Pourtant ce n'est pas faute de mèches allumées. Ou plutôt ce n'est pas faute de mèches et d'allumettes. C'est peut-être faute de mèches et d'étincelles qui ne se rencontrent pas, ou alors les explosifs ont pourri. On en reste là, avec les yeux qui brûlent derrière des paupières qui tressautent. / Un flux endigué à l'extrême et que reste-t-il de soi qui transparaisse au final? Une interface sophistiquée qui pioche à peine quelques pincées de poussière dans la banque de données du "je". Et le pire, c'est que ça nous suffit. Faire illusion et avoir des illusions, c'est tout ce qu'on demande. On se fâche lorsque le trucage se révèle, que la ficelle est trop grosse. Réalité obscène. Etouffez cette vérité que je ne saurais ouïr. / De quoi dépend ma valeur, à quelle aune la mesurer?/ Quand j'écris en public ou me relis, j'ai l'impression de m'adonner à quelque chose de honteux, de sexuel. / J'étouffe de la proximité de toutes ces cultures, de toutes ces altérités inintelligibles, de toutes ces différences. De toutes ces émotions étrangères à moi et que je n'éprouve pas. Comment peut-on évoluer dans un tel monde? Il y a un trop plein. Une trop grande richesse, une terrifiante abondance, un morcellement horrible en comparaison de nos vies minuscules. Trop de significations, trop de sens, la somme en est l'absurdité et le néant. / Je ne supporte pas de vieillir et d'être une parmi tant. Je ne supporte pas que les autres puissent ne signifier rien pour moi, foule aveugle, ombres et silhouettes. Que je ne sois rien pour eux. Je n'ai pas le temps de les connaître ni eux, moi. Comment peut-on on supporter la pensée de l'existence simultanée de tant de vies différentes, de tant d'inconnus, l'idée étourdissante que nous vivons au beau milieu de tout cela? / Je ne supporte pas ce grand vide que j'abrite en moi et l'énergie que je déploie à le dissimuler, à me le dissimuler. Éviter les autres pour éviter d'avoir à se confronter à des connexions qui ne se font pas, des transcendances qui n'adviennent pas. Car que chercher d'autre chez l'amant, l'amoureux? N'est-il pas plus monstrueux encore de continuer à vivre avec ses béances, ainsi ouverts aux quatre vent, sans chercher d'une façon ou d'une autre à les combler? / Hissés hors de la nature, aliénés à nos instincts, êtres de culture, nous sommes brisés. Notre savoir ne nous comblera pas. Notre raison ne nous résoudra pas. En nous pensant en nous nommant nous nous sommes déconstruits - perdus. Nous avons perdu notre cohésion sauvage, notre harmonieuse nature, notre insouciance animale. Nous sommes des monstres, tous créatures de Frankenstein, de bric et de broc, architectures bancales résultant des entremêlements hasardeux de notre pauvre entendement avec la matière. Ridiculement fragiles. Beaux. Odieux. Paradoxes fatales à nous-mêmes.
En latence.
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